lundi 14 juin 2010

Faire confiance à l'équipe de France ? Pourquoi pas ?



En ces temps footballistiques, même si je ne suis pas fan de ce sport auquel je préfère le bien plus tactique Foot US, je m'intéresse au sort de l'équipe de France et à ses chances de réussite au Mondial 2010. Ce thème constitue même un incontournable pour un blog dont le titre affiche ostensiblement le mot confiance. Car il s'agit bien de cela : les Français font-ils confiance à l'équipe de France et surtout doivent-ils et peuvent-ils lui faire confiance ? Pour répondre à cette question (et à tant d'autres !), les sciences sociales ont beaucoup à nous dire. En effet, plusieurs grilles de lecture nous permettent d'apprécier la position du supporter de l'équipe de France, au travers notamment des concepts suivants (1) :
- la vulnérabilité,
- l'intérêt commun
- l'incertitude,
- l'encastrement,
- le capital social.

Considérons chacun de ces points.

La vulnérabilité.
Si l'on considère le concept de vulnérabilité, tel qu'il a été défini par H.S. James Jr (The Trust Paradox, 2001), la confiance repose sur l'espérance du supporter que l'équipe de France ne profitera pas de sa situation de vulnérabilité (il n'a aucune prise sur le match) pour le tromper. Ainsi, la défiance du supporter consisterait ici en une protection, i.e. "je ne te fais pas confiance, ainsi je ne me mets pas en situation d'être déçu ou de souffrir d'un mauvais résultat" ; cette logique est assez proche de celle qui pousse à ne pas s'engager dans une relation amoureuse.

L'intérêt commun.
Le concept de confiance incorporée, que propose R. Hardin (The Street Level Epistemology of Truth, 1993), relève d'une autre logique, posant qu'un individu fait confiance à un autre individu ou à une institution parce que leurs intérêts sont communs. Dans cette optique, il est facile de suivre le supporter qui fait confiance à l'équipe de France dans la mesure où (normalement ?) leurs intérêts sont communs - les joueurs comme les supporters veulent que l'EDF gagne.

L'incertitude.
L'incertitude doit également être prise en compte pour déterminer le niveau de confiance que l'on doit accorder à l'EDF ; en effet, le succès de cette dernière est liée à un niveau de probabilité et donc, à cette distribution de probabilités doit correspondre une même distribution de niveaux de confiance ; c'est ce que nous indiquent les travaux de D. Gambetta (Can We Trust Trust ?, 2000). Cette acception de la confiance peut d'ailleurs être facilement mesurée en consultant la côte dont bénéficie l'EDF sur les sites de paris sportifs (actuellement = 18,00).

L'encastrement.
M. Granovetter (Economic Action & Social Structure : The Problem of Embeddedness, 1985)a quant à lui d'insérer et d'analyser la confiance autour de trois mécanismes : les institutions, les réseaux sociaux et une moralité généralisée. Ici, la position du supporter pourra se résumer en une sorte de panurgisme, par lequel il suivra la tendance, d'autant plus d'ailleurs que cette tendance sera légitimée par les institutions et par son entourage direct. Ce phénomène explique d'ailleurs en partie pourquoi on passe parfois par contagion d'une défiance généralisée à une ferveur partagée (cf. la coupe du Monde de 1998).

Le capital social.
Pour les culturalistes, et notamment pour R. Dore (Taking Japan Seriously, A Confucian Perspective on Leading Economic Issues, 1987), la confiance est un capital social qui se transmet de génération en génération ; ainsi, le supporter sera d'autant plus actif et positif vis-à-vis de l'EDF que son père l'était.

Evidemment, cette typologie est didactisée pour rentrer dans le cadre d'un billet lisible; je vous invite donc à lire les auteurs cités en référence. Quoiqu'il en soit, il y a fort à parier que parmi les lecteurs de ce billet, il y a des fans de foot. Ils pourront désormais honnir ou encenser l'EDF en connaissance de cause. Pour ma part, je continuerai à ne m'intéresser que de loin aux résultats du Mondial 2010, considérant que supporter une équipe juste parce qu'elle est française, ou allemande ou grecque (et non pas parce qu'elle est la meilleure techniquement et tactiquement) relève de certains sentiments qui ne sont pas loin de la xénophobie... Mais je sais que sur ce point, je fais figure de Don Quichotte !

Jim Y


(1) Je reprends ici la typologie afférente à la confiance élaborée par Tarik Tazdaït dans son ouvrage "L'analyse économique de la confiance" dont j'ai proposé une note de lecture ici.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire