lundi 10 mai 2010

Les banquiers sont-ils naïfs, incompétents ou malhonnêtes ?




Oui, je me doute que vous avez tous votre réponse à cette question... mais je livre à votre sagacité cet exemple ; la semaine dernière, expliquant à mes étudiants de L3 la pratique consistant pour les banques à adosser des ressources à court terme à des emplois à long terme, j'évoque la question des taux, leur précisant que cette pratique repose sur deux principes :
- un taux d'emprunt est d'autant plus élevé que l'engagement est long (idem pour le taux derémunération de l'épargne),
- pour la même durée, un taux d'emprunt est supérieur à un taux de rémunération de l'épargne (sinon il suffirait pour gagner de l'argent d'emprunter pour placer !)

A ce moment, un étudiant m'interpelle et m'indique que parfois, il est pourtant plus intéressant d'emprunter que d'utiliser son épargne ; je lui réponds qu'effectivement, en termes de risque et de disponibilité des fonds, cela peut être judicieux, mais que si on ne tient compte que du coût/gain comparé, cette démarche ne tient pas la route. Et mon étudiant (décidément tenace et déterminé... pour une fois !) de me répondre que la démonstration inverse lui a éé faite par l'un de se formateurs (des intervenants extérieurs, banquiers ou assureurs, assurent certains cours dans le cadre de cette L3). Je lui demande donc de venir me refaire cette démonstration, mais là, problème, il ne se rappelle plus les tenants de celle-ci (tenace et déterminé, mais pas beaucoup de mémoire le garçon !).

N'étant pas encore moi-même atteint par le syndrome d'Alzheimer, je tente de raviver mes souvenirs d'ex-banquier, lorsque mon n+2 (c'est comme ça qu'on appelle celui qui est au-dessus de votre chef et qui est deux fois plus bête que vous !) essayait lui aussi de me montrer qu'il était plus intéressant de vendre un crédit à un client que de le laisser utiliser son livret A pour s'acheter sa Twingo.

Je vous livre donc cette démonstration...
Prenons l'exemple de Régis, qui veut acheter une Twingo à 5.000 EUR ; deux possibilités s'offrent à lui :
- ponctionner son contrat d'assurance-vie, rémunéré à 4%,
- faire un prêt, mettons sur 5 ans, à 6%.
Sur la base de cette alternative, on arrive à un coût de 800 € pour le prêt et à une rémunération de 1080 € pour l'épargne... "Et encore, Monsieur le client, je n'ai pas compté les frais afférents au contrat d'assurance-vie (frais de gestion, imposition, etc.)"
Cette différence acquise à l'avantage du prêt s'explique par le mode de calcul des intérêts (au jour le jour pour l'assurance-vie et mensuellement pour le crédit).

Bon, mettez-vous à la place de Régis (et de mon étudiant)... C'est édifiant, non ! Pourquoi se séparer de ces 5.000 EUR durement épargnés ?

Réponse : parce que le raisonnement, pour séduisant qu'il soit, est totalement fallacieux ; en effet, hormis les frais associés au prêt (dont n'a pas parlé le gentil banquier), un élément fondamental a été omis : si Régis fait un prêt, il va devoir payer 97 € par mois pour le rembourser (et se retrouvera au final avec 6.080 EUR (son épargne actuelle + les intérêts acquis). Pour être honnête, le banquier aurait dû comparer cette situation avec l'utilisation par Régis de son épargne pour acheter sa Twingo ET avec le placement de 97 € par mois sur son contrat d'assurance-vie pendant 5 ans ! Dans ce cas, Régis se retrouvera au bout des 5 ans avec 6.440 EUR (frais exclus).

On a donc ici un différentiel de 360 EUR, au profit de la solution "utilisation de l'épargne" !..

Quelle est la morale de cette histoire ? elle est double :
- il est inquiétant de voir qu'une démonstration aussi nulle puisse impressionner un étudiant de L3, qui plus est un éudiant qui depuis trois ans effectue un contrat en alternance dans un établissement financier (banque à distance) ;
- on se demande si les banquiers qui font cette démonstration le font en sachant qu'elle est fallacieuse ou s'ils y croient eux-mêmes (ayant côtoyé longuement ces gens, je pencherais pour la deuxième option).

Quoiqu'il en soit, tout ceci donne un éclairage inquiétant sur la situation économique actuelle, car tous semble indiquer que les comportement aberrants constatés sur les marchés financiers vont pouvoir perdurer, tant par malhonnêteté que par bêtise !

Voilà, c'était ma leçon de morale du matin...
A demain !

4 commentaires:

  1. Ce que vous dîtes est contradictoire. Si emprunter à court terme est moins cher qu'emprunter à long terme, alors on peut emprunter à court terme pour prêter à long terme. C'est d'ailleurs exactement ce que font les banques.

    Donc, pour des particuliers ayant une prime de risque nulle (genre fonctionnaire avec une assurance-vie), il est tout-à-fait possible qu'il soit en mesure de faire ce genre d'arbitrage intertemporel.

    Qui plus est, les frais du retrait d'un support comme l'assurance-vie peuvent être plus important que ceux de la souscription d'un crédit, d'autant que si vous pouvez choisir la banque où vous prenez un crédit, vous ne pouvez pas choisir la banque où vous faîtes ce retrait.

    Sinon, plus douteux, mais il y a également çà qui vous contredit:
    http://www.marginalrevolution.com/marginalrevolution/2010/04/lifecycle-investing.html

    Enfin, il arrive que la courbe de rendement ne soit pas croissante:
    http://en.wikipedia.org/wiki/File:GBP_yield_curve_09_02_2005.JPG

    RépondreSupprimer
  2. @ Jean :

    Prêter à LT et emprunter à LT ne correspond en rien à l'exemple que je donne ici ; il faudrait dans ce cas intégrer le gain afférent à un placement sur la durée restante entre la fin du prêt CT et la fin du placement LT !

    Concernant les "frais de retrait" sur une assurance-vie, il sont inexistants pour la plupart des bons contrats (c'est l'ancien banquier qui vous parle) ; seule la fiscalité est pénalisante, mais elle ne remet pas en cause la démonstration.

    Concernant vos deux liens, sans commentaire ; leur origine les discrédite ipso facto (quant à leur contenu !?...)

    RépondreSupprimer
  3. Vos deux principes sont en général vrais mais:
    _il y a des exceptions pas si rares que cela:
    *les courbes de rendement ne sont pas nécessairement croissantes.
    *des raisons fiscales (genre plan épargne logement) ou des frais importants peuvent faire en sorte que l'emprunt peut être plus intéressant qu'un retrait prématuré.
    *Comme je l'ai signalé, l'existence possible d'un "equity premium" fait qu'il est possible qu'il soit judicieux d'investir en bourse à crédit au début de sa vie.
    _les raisons théoriques pour lesquels ils sont en général vrais ne sont pas si évidentes.
    Par exemple, l'existence de banques devrait normalement faire en sorte que la courbe de rendement soit plate.



    "leur origine les discrédite ipso facto": Vous êtes bien exigeant sur la qualité des sources, surtout que vous n'en citez aucune, juste votre lointaine expérience de banquier.
    Qui plus est, Tyler Cowen me paraît une source respectable (professeur d'économie à GMU).
    Enfin, si vous voulez d'autres sources, en voilà:
    http://www.ustreas.gov/offices/domestic-finance/debt-management/interest-rate/yield_historical_2007.shtml
    http://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=1139110

    RépondreSupprimer
  4. Je vous accorde que certains cas sont à consdérer avec un certain intérêt. Mon billet ne les prend pas en compte, pour des raisons de "taille".
    Je vous remercie donc pour vos commentaires avisés qui permettent aux lecteurs de ce blog d'approfondir l'analyse.
    J'espère que mes prochains billets seront l'occasion d'un autre débat...

    RépondreSupprimer