vendredi 30 avril 2010

Agences de notation, confiance et responsabilité

J’avais envisagé de débuter ce blog par un post afférent au principe de précaution – corollaire à mon sens du principe de responsabilité. L’actualité m’oblige à changer mes plans, tant elle colle au thème de ce blog ; cette actualité concerne la dégradation de la note attribuée par les agences de notation, et notamment Standard & Poor’s à la Grèce, au Portugal et à l’Espagne.

Pour les « bleus » en économie, petit rappel très synthétique concernant ces notations… Trois agences font aujourd’hui la pluie et le beau temps dès lors qu’il s’agit d’apprécier la solvabilité financière des entreprises et des Etats : Standard & Poor’s, Moody’s et Fitch Ratings. Elles leur attribuent des notes, allant de AAA ou Aaa (Sécurité maximale) à DDD ou D (Défaut). Les marchés, qu’on nous dit clairvoyants (retenez ce mot !) et efficients dans leurs raisonnements, s’appuient très (trop ?) largement sur ces notes pour conduire leurs stratégies d’investissement – pour résumer, elles prêtent moins cher et beaucoup à ceux qui ne présentent aucun risque et très cher et très peu à ceux qui présentent un risque de défaillance.

Avant de poursuivre, pour les « bleus » en histoire économique, petit rappel concernant la clairvoyance de ces agences de notation… Quatre jours avant la faillite d’Enron, ces trois agences lui octroyaient encore une excellente notation ; elles n’ont pas vu venir – ou pas voulu voir venir ? - non plus la faillite de Lehman Brothers !

L’objet de ce post n’est pas de refaire l’historique de ces faits d’armes, ni d’achever la bête – d’autres s’en chargent bien mieux que moi ; mon but est de soulever ici plusieurs questions que révèle ce « scandale des agences de notation » :
- D'où ces agences tirent-elles leur légitimité ?
- Quid de leur indépendance ? de leur objectivité ?
- Sont-elles compétentes (bon, ok, à cette question la réponse est facile !) ?

Répondre à ces questions nécessite à mon sens - mais peut-être est-ce une déformation professionnelle - de rappeler que la théorie économique fournit des grilles de lecture intéressantes pour apprécier cette situation. Ces grilles sont celles qui placent l'incertitude, les asymétries de'information, la rationalité et le mimétismeau centre de leurs analyses. On ne rappellera jamais trop, à ce titre l'importance du chapitre 12 de l'ouvrage majeur de J.M. Keynes (Théorie générale de l'emploi, de l'intérêt et de la monnaie), que C.H. souligne dans son excellent blog. Il y évoque l'allégorie du concours de beauté, qui explique à mon sens parfaitement la situation dans laquelle se trouvent actuellement les investisseurs, situation toutefois biaisée par le fait que des agences de notation leur dictent ce que doit être leur position. Ceci devrait être à leur avantage, et la théorie de l'agence ne nous dit pas autre chose (agences de notation = réduction des phénomènes de sélection adverse et d'aléa moral). Pourtant, force est de constater qu'elles ne participent pas à l'amélioration de la clairvoyance - je vous avais dit que ce terme était important - des acteurs.

Pourquoi ? Si elles peuvent agir sur la confiance - ou la défiance - des acteurs, les agences de notation ne peuvent se départir d'un devoir, celui de leur responsabilité économique et sociale. Or, les effets de leurs actes semblent être perçus par les agences de notation comme des externalités, faisant fi de l'évaluation de leur responsabilité. Il est assez amusant de constater, d'ailleurs, qu'elles ne se privent pas, en revanche, d'évaluer la RSE des entreprises. Ah... la fameuse fable de la poutre dans l'oeil !...


Ainsi, pour conclure ce post, je ne suis pas très optimistes quant aux tournures que prennent les évènements afférents à la crise initiée ar la situation de la Grèce. Je ne vois une porte de sortie que via l'action des institutions que sont les Etats et les Institutions Financières Internationales ; elles sont les seules capables de restaurer la confiance et d'intégrer dans leur réflexion la notion de responsabilité. Espérons qu'elles y intègreront également la notion de solidarité !

En attendant, j’attribue allègrement la note DDD aux agences de notation !


PS : Désolé pour les anti-kéynésiens primaires si ce post est trop marqué ! Promis, je ne le referai plus...

2 commentaires:

  1. A noter sur ce thème le très bon livre de Norbert Gaillard, sobrement intitulé "Les agences de notation" (Coll. Repères).

    http://www.collectionreperes.com/catalogue/index-Les_agences_de_notation-9782707158307.html

    RépondreSupprimer
  2. Bof, franchement : que les agences de notation aient une importance socio-économique je ne dis pas, mais si cette importance n'est pas internalisée dans leurs calculs ce n'est franchement pas de leur faute (vu qu'il semble qu'il vous faut absolument un coupable...). En l'occurrence, tout étudiant de L3 (pour reprendre l'un de vos autres posts) sait que la SEULE l'institution POUVANT obliger un acteur économique à internaliser une externalité est... l'État ! C'est un peu comme si vous preniez votre voiture et au dernier moment vous vous ravisiez en pensant non pas "il y aura du monde sur le périphérique" mais plutôt "ah non, je ne vais pas encombrer un périphérique déjà encombré, ça serait socialement inefficace, blabla" (alors que prendre ce fichu périphérique serait pour vous la solution optimale !). Non, vous allez prendre ce périphérique, et la seule solution qui pourrait vous faire choisir un moyen de transport alternatif serait une augmentation du "prix" de prendre ce périphérique : congestion encore plus poussée, péages, prix de l'essence très élevé, etc. Et pour l'essentiel, le seul acteur en capacité à jouer sur ces trois exemples est l'État (pour la congestion : il lui suffit de ne pas bâtir de routes supplémentaires ; pour le péage de l'instaurer, bien sûr ; pour le prix de l'essence, augmenter les taxes qui lui sont associées).

    Et donc bref, vous aurez compris le sens de la métaphore : si vous ne prenez pas ce périphérique ce n'est pas par "bonté naturelle" (ou alors vous êtes bien idiot, si je puis me permettre), mais bien parce qu'il existe tout un ensemble d'incitations qui vous découragent de le faire (voire même d'interdictions si l'État venait à vous interdire l'accès à la route, pour x raisons). Là c'est pareil : les agences de notation n'agissent pas pour maximiser le bien-être collectif mais le leur. Et si les deux ne coïncident pas, c'est à l'État d'intervenir. Market failure tout ce qu'il y a de plus basique, c'est du niveau L3 en microéconomie.

    Pour en revenir à notre histoire, j'ignore quelle est la part de responsabilité des agences de notation dans toute cette histoire (crise, Grèce, etc.), mais je vous renvoie à un excellent article sur Télos, qui donne des pistes assez sérieuses pour que les agences de notation internalisent leurs externalités : http://www.telos-eu.com/fr/article/faut_il_banaliser_les_agences_de_notation

    RépondreSupprimer